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Le temps d’un regard

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La proximité de l’océan créé une atmosphère hors du commun, comme hors du temps, de ce temps imposé, rythmé par les tic-tacs de nos horloges comme les pas lents et secs d’une mort certaine. Ce temps qui, dans la vie quotidienne représente une menace.
Auprès de la mer, replacé dans un environnement naturel qu’il méconnaît et qui le dépasse, les sens primitifs de l’Homme ressurgissent. Son instinct reprend place sur sa raison, ses sens s’y déploient. Il tente de capter chaque image, chaque odeur, il ressent sur son visage cet air moite et épais chargé d’iode qu’il goûte lorsque sa langue effleure ses lèvres. Chaque son, berçant ou menaçant.

L’océan procure toujours quelque chose de merveilleux, spirituel, il ouvre le cœur au plus froides statues.

Fort heureusement, nombreux sont les humains ayant obtenu la clémence des mers. Parmi eux on distingue, entre autres : les pêcheurs, les baroudeurs, les explorateurs, les scientifiques ou autres chercheurs et les surfeurs.
Les mathématiques n’ayant pas voulu de moi, ma nature gauche et malhabile faisant s’entortiller mes lignes sur elles-mêmes et piquer mes hameçons dans mon derrière ; mais possédant l’amour de la nature, de l’océan et de la liberté, la dernière catégorie s’imposait à moi comme une évidence et je ne pouvais devenir que surfeur.

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Par un après-midi marocain chaud et sec, à la suite une bonne session sur le spot de Devil’s Rock, malgré un vent on-shore fort et une houle longue qui faisait fermer les vagues de série, quelques bouts suffisamment puissants allaient en droite ou gauche nous offrir la possibilité de caresser les vagues capricieuses de quelques manœuvres. J’arpentai avec difficulté le chemin du retour lorsque j’aperçu un berger et ses bêtes.
Dressé au milieu des grues, des blocs de béton, des tiges de métal, des dunes de gravats, et des squelettes de futurs bâtiments, cet homme m’apparut comme irréelle. Fier et sage à la figure martelée par le temps, il veillait sur son bétail qui arrachait à cette terre rude et sèche, malmenée, presque oubliée, les derniers valeureux brins d’herbes, comme pour les délivrer de leur agonie.

Notre premier contact fut visuel et à travers ce regard, c’est toute une vie que ces yeux racontaient. Une vie paysanne menée par les saisons et la recherche des meilleures pâtures pour faire manger son troupeau.
Quand j’arrivai à sa hauteur, il s’approcha de moi et me tendit sa main pour me saluer. A travers cette main c’est la sincérité pure de son âme que je vis. Il me dit quelques mots en berbère. Bien que je ne parle pas sa langue natale, je compris qu’il me disait de faire attention, que je pourrais me blesser à marcher pieds-nus dans ce désordre. Cette attention provoqua en moi un inexplicable sentiment, une sorte de bien-être mêlée à de la honte.  J’acquiesçai un peu gêné, en le remerciant et par un dernier sourire nous nous dîmes au revoir.

Cette rencontre bouscula mes pensées. Malgré nos vies aux temps éloignés, lui ne possédant que son troupeau, une vieille djellaba et des chaussures usées par les kilomètres dans des terrains meurtris et moi qui grandis en subissant le développement d’un monde irrationnellement connecté où les soucis économiques sont la priorité, il me semble que nous avons un point commun. Le soleil, l’eau, la terre, le vent, les vagues sont pour nous les piliers de nos vies. Nous sommes perdus en un monde dans lequel nous ne nous reconnaissons pas, où l’on ne se regarde qu’à travers des écrans, où les hôtels privatisent des plages, où les usines ont poussé dans les champs à la place des blés, où les constructions sont plus importantes que les plantations. Où l’on vend quand on pourrait donner, où l’on ment quand on pourrait dire vrai. Dans cette époque devenue bien trop compliquée, nous avons oublié l’essentiel.

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J’ai pu voir, à travers cet homme, toute la diversité de notre monde appeler à l’aide. Il nous faut, à présent, prendre le temps d’écouter ce que la simplicité peut nous dire et nous apporter. Éteignons nos télévisions et écoutons les bergers. Durant notre échange, pas de nom, de nation, ou même de langage, tout ce que l’Homme pouvait créer eût été un obstacle ; seule notre âme comprenait ce que nos yeux disaient.

Aujourd’hui, je me demande ce qu’il se passera pour ce berger lorsque le béton aura cloisonné les derniers carrés d’herbe, mais je suis sûr d’une chose, cet homme que la nature a façonné, poursuivra son errance sans nostalgie ni rancune.

P. R.

 

 

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